Même si les médias sociaux ne sont souvent considérés qu’en tant que voie de communication, leur exploitation en situation de crise s’est très rapidement imposée comme une évidence pour une population toujours plus connectée et impliquée par les catastrophes touchant le monde. De nombreux facteurs ont contribué au développement d’initiatives :
- disponibilités des informations,
- capacité à entrer en contact direct avec les personnes impliquées,
- le cas échéant, existence de diasporas originaires des zones touchées et ayant une connaissance fine du terrain.
Le début des MSGU dans le monde
Le séisme ayant touché Haïti en 2010 a ainsi vu les émigrés installés aux USA organiser une réponse opérationnelle parallèle à l’action traditionnelle des États et des ONG, mais avec une finesse et une réactivité exemplaire. Les grands noms de l’Internet comme Google ont alors mis à la disposition de ces communautés leurs moyens pour le développement d’outils dédiés :
- plate- forme de recherche de victimes pour reconstituer les familles,
- déploiement d’avions pour des prises de vue quotidiennes sur la zone,
- mise en place d’une cartographie collaborative de crise…
Lorsque le Tsunami a frappé le Japon en mars 2011, ces mêmes outils ont été adaptés, avec une ampleur jusqu’alors inimaginée. Plus de 700 000 personnes se sont par exemple connectées en moins de 72h sur le Google Personal Finder pour retrouver leur famille (un volume qu’aucun serveur de l’État n’aurait été capable d’absorber), et toutes les actions des secours sur le terrain sont systématiquement annoncées sur les cartes collaboratives et les médias sociaux.
D’après les rapports sur cette catastrophe, « beaucoup d’habitants n’avaient pas l’habitude de se renseigner en ligne ou de passer par les réseaux des médias sociaux et sont restés ignorants des secours et des ressources mis à leur disposition. » La disponibilité des informations sur internet permet donc une meilleure résilience dans le monde réel, sans changer l’organisation ou les méthodes de travail des services de sécurité civile.
Fort de ce constat, la Croix Rouge américaine crée en mars 2012 un digital operation center dans le double objectif de suivre les médias sociaux et y communiquer en cas de crise. Cette cellule sera mise à l’épreuve dès le mois d’octobre 2012 et l’ouragan Sandy qui va toucher New York. L’événement verra l’avènement d’une réelle exploitation opérationnelle des médias sociaux en gestion de l’urgence (concept de « MSGU »), avec le partage par la population de centaines de milliers de photos et de millions de messages. Qualification fine de la situation, identification précise des besoins, diffusion de conseils individualisés et développement d’initiatives collaboratives, le potentiel est énorme.
Apparaît alors une facette des médias sociaux jusqu’alors insoupçonnée : sa résilience extrême. Alors que les réseaux téléphoniques et électriques sont déjà tombés, des spots wifi continuent à émettre et des moyens artisanaux de communication sont rétablis, permettant de recenser les immeubles privés d’électricité et les populations dans le besoin, localiser les sources d’approvisionnement ou les offres d’hébergement les plus proches… La population apprend à s’auto-gérer, mais la gestion de la crise par les secours et les opérateurs d’infrastructures est également facilitée par ces remontées d’informations. Certains agents des administrations locales prennent l’initiative d’entrer en contact avec les organisateurs, car certaines dérives doivent également être évitées. Une carte collaborative fait par exemple apparaître les stations-services approvisionnées, mais il est primordial d’en préserver certaines au profit des secours.
Une prise de conscience s’opère alors : les gestionnaires de la crise ne peuvent pas être absents de ce mouvement, à la fois pour en maximiser les bénéfices et pour éviter les éventuelles sur-crises. L’acronyme angolophone SMEM (Social media in emergency management) est alors traduit en français en 2012 par Ghislaine Maltais pour devenir MSGU (Médias sociaux en gestion de l’urgence).
Le début des MSGU en France
En mars 2013, l’ONG française des « Pompiers de l’Urgence Internationale » demande aux internautes de l’aider à identifier des bâtiments pour faciliter son déploiement à Madagascar et plusieurs volontaires se lancent dans l’initiative. C’est le réel début des MSGU en France. Quelques semaines plus tard, un épisode neigeux inédit touche la France, poussant ces mêmes bénévoles à s’organiser pour mettre en relation des rescapés de la route et des agriculteurs aux alentours.
Cette initiative est identifiée par une équipe de veille du Centre Opérationnel de Gestion Interministérielle de Crise (le COGIC) de la Direction Générale de la Sécurité Civile et de la Gestion de Crise (Ministère de l’Intérieur) à laquelle j’appartenais, et une mission est créée pour accompagner cette révolution. Des ponts sont lancés et une expérimentation est initiée avec cette communauté qui n’est alors pourtant que virtuelle.
L’accident de train de Brétigny, en juillet 2013, sera l’occasion de tester les capacités de cette communauté grandeur réelle. Plus de 200 tweets sont partagés chaque minute sur le sujet, un volume ingérable pour un opérateur isolé dans une salle de crise. Mais ce groupe de volontaires peut soutenir cette veille en se répartissant les tâches : une personne pour chaque réseau social et des missions dédiées pour chacun.
Le retour d’expérience officiel de la sécurité civile stipule que « cette collaboration a notamment permis d’enrayer 2 rumeurs et d’effectuer un tri pertinent des informations qui circulaient », et des lettres de félicitations sont adressées aux bénévoles. Les MSGU sont officiellement lancés en France.
Le petit groupe de volontaires se structure donc en l’association baptisée VISOV, pour les « Volontaires Internationaux en Soutien Opérationnel Virtuel ». L’association a été activée en soutien des Centres opérationnels de la Sécurité Civile à 14 reprises en 2014 et 2015, avec des actions au profit des Ministères des Affaires Étrangères et de l’Écologie, l’ONU, la Commission européenne ou encore le Centre National de Crise belge…
Lors de chaque événement, la centaine de volontaires aujourd’hui impliquée se retrouve pour réaliser une veille des éléments pouvant avoir un intérêt pour les secours :
- détection des appels à l’aide et des rumeurs,
- encouragement des bonnes initiatives,
- qualification d’un événement…
Les résultats peuvent être produits sous la forme d’un fichier Google collaboratif servant de main courante pour les gestionnaires de la crise, voire d’une carte de la situation lorsque la situation le nécessite. La grande force de l’association réside dans la complémentarité de ses membres : pompiers, secouristes, informaticiens, veilleurs professionnels, spécialistes de l’internet ou de la gestion de crise, mais aussi cartographes ou météorologues. La complémentarité est également géographique puisque l’association compte des membres au Canada, offrant une capacité de veille 24h sur 24, en cas d’événement important.
De nombreux spécialistes s’accordent pour considérer que deux éléments modifieront considérablement la gestion de crise dans les prochaines années : l’utilisation massive des drones et l’omniprésence des médias sociaux. Il appartient à chacun de rejoindre VISOV pour que cette évolution continue à se faire en douceur et avec succès. Nous avons la chance d’avoir vu se constituer une équipe structurée et efficace, totalement en accord avec les lois de modernisation de la Sécurité Civile, gageons que cette collaboration ne pourra que se renfoncer et qu’elle continuera à sauver des vies.
Interview de Xavier Tytelman publiée dans la Lettre d’Information sur les Risques et Crises (LIREC) de l’Institut National des Hautes Études de Sécurité et de Justice (INHESJ) du juin 2016.